La salle de bain magique 6

                                                                 San Marsin le 8 juin 2013

                              Mes chéris d’amour,

J’ai vraiment beaucoup, beaucoup, de choses à vous raconter.

Hier à l’aube, il y a eu un gros orage.

Cela a fait tellement de bruit que je me suis réveillée. Je suis descendue à la cuisine pour boire quelque chose parce que j’avais soif.  Il m’a alors semblé entendre des petits craquements. En cherchant d’où ils venaient, je suis arrivée tout droit jusqu'à votre chambre. J’ai ouvert doucement la porte de la salle de bain et là, quelle ne fut pas ma stupeur ! Je me suis  retrouvée nez à nez avec la Doudou qui était revenue. Elle était en train de s’installer contre le cocotier. Tout d’abord, j’ai eu très peur, mais la Doudou m’a gentiment rassuré, puis elle m’a raconté sa fantastique histoire. Asseyez-vous confortablement et écoutez bien.

Cela s’est passé il y a de nombreuses années, car sous son fichue, la Doudou a déjà les cheveux tout blancs.

Elle était née dans une île lointaine. Mais par un malheureux hasard, elle était aveugle. Sa maman était désespérée et elle n’arrêtait pas de pleurer.

 Un pèlerin qui passait par là s’arrêta attiré par le bruit des lamentations.

 -Qui a t-il ma pauvre dame ? Lui demanda –t-il.

 -Je pleure sur le sort si triste de mon enfant. Répondit la femme.

 Que va-t-elle devenir si elle ne peut y voir ?

Le pèlerin qui avait beaucoup voyagé lui raconta qu’il avait croisé un jour, il y avait fort longtemps, un magicien qui vivait tout seul dans la montagne au centre d’une autre île. D’après ce qu’il avait entendu dire, ses pouvoirs étaient immenses.

Il ne savait pas s’il vivait toujours et s’il pourrait rendre la vue à la fillette mais pourquoi ne pas essayer ?

 Il indiqua le chemin à la maman qui le remercia chaleureusement. Puis, remplie d’espoir, elle se mit aussitôt en route avec sa petite fille.

Au terme d’un long périple, elles trouvèrent enfin le magicien. C’était un très, très vieil homme maintenant. Il expliqua qu’il était bien trop âgé pour pratiquer la magie parce qu’il perdait un peu la tète et qu’il mélangeait les formules.

A ces mots, la maman s’effondra de chagrin !

 Alors le vieux magicien eu pitié d’elle et lui dit qu’il allait quand même essayer et faire tout son possible pour donner de bons yeux qui y voient bien à la petite. Comme, sa mémoire lui faisant défaut et qu’il n’avait plus confiance en lui, il prit son énorme grimoire pour y chercher la formule.

« Ainsi, songeait-il, si je me contente de lire, je suis assuré de bien réciter les bonnes paroles sans erreur ». Le livre ouvert devant lui, il s’appliquait  très fort y consacrent toute son attention et toute son énergie. Il fit si bien, qu’il arriva au bout de sa très longue incantation sans aucune hésitation. Il était très fier de lui. Mais hélas, comme il n’y voyait plus trop bien non plus, il  s’aperçut trop tard qu’il s’était trompé de page !

Il avait déjà récité sa formule et jeté son sort, de sorte que la fillette se retrouva pourvue… des yeux d’une chouette !

Ce qui avait été noué par la magie ne pouvant être dénoué, la Doudou dut s’habituer

à ses yeux de chouette qui ne supportent pas la lumière du jour.

Désormais elle serait obligée de vivre la nuit et dormir le jour.

 Toutefois, pour essayer de réparer sa maladresse et se faire pardonner, le magicien qui

était bien vieux mais aussi bien brave, lui fit don de pouvoirs enchantés afin de simplifier

 l’étrange vie qu’elle allait devoir mener par sa faute.

 Il  lui permit, entre autres, de se déplacer très rapidement partout ou elle le

souhaiterait, même à travers les murs.

Ainsi put-elle mener une existence, certes hors du commun, mais qui lui plaisait néanmoins. Forte de ce pouvoir extraordinaire, elle avait voyagé dans le monde entier. Elle avait vu avec ses yeux de chouette, toujours de nuit, bien plus de choses que nous n’en verrions jamais. Il parait qu’il y a plein de bêtes qui vivent la nuit sur terre et au fond des océans.

Il y a même des fleurs qui ne s’ouvrent que la nuit. Mamie en a eu chez elle de fort belles qui embaumaient, je peux en témoigner et sans doute vos parents les ont-ils vu aussi.

. Elle avait croisé des insomniaques et des noctambules, rencontré d’innombrables fêtards qui avaient égaillé ses nuits,

partagé les veillées des aventuriers autour de leur feu de camp, fait s’enfuir des voleurs… Bref, comme nous le jour, elle avait côtoyé la nuit, durant son existence, une foule de personnes.

 Elle était même tombée amoureuse d’un astronome qui vivait la nuit pour observer les étoiles. Ils aimaient ensembles admirer la beauté du ciel. Ils passaient de longues heures  le regard perdu dans la voie lactée.

Ils n’avaient pas pu se marier et avoir des enfants, parce que, pour le coup, élever des enfants rien que la nuit, ce n’est pas vraiment possible. En plus, la nuit, toutes les écoles sont fermées. C’était son seul regret et c’est pourquoi elle aimait tant notre salle de bain. Non seulement elle était magique, mais en plus il y avait plein d’enfants.

 En fait, sa vie avait était riche et passionnante. Elle n’avait pas fait ou vu les même choses que nous faisons et voyons, nous qui vivons le jour, mais ce n’était ni triste, ni grave. Son mode vie avait était différent, c’est tout. Cela ne l’avait pas empêché de trouver que la vie était belle

Sa tête était si pleine de fabuleux souvenirs qu’elle était maintenant lassée de courir le monde. Fatiguée de toujours bouger, changer de pays ou de lieux, elle n’aspirait plus dorénavant qu’a une chose : se poser quelque part, dans un endroit qui lui plairait et se reposer le plus possible en repensant à la vie tellement fantastique qu’elle avait eu.

C’est ainsi que, passant une nuit dans notre salle de bain, elle y découvrit le cocotier.

Contente de retrouver un arbre qui lui rappelait son pays d’origine, elle s’y adossa et s’endormie.

A son réveille elle était bien convaincue que la salle de bain était effectivement magique parce qu’elle avait fait des rêves merveilleux qu’elle ne faisait nul part ailleurs. Elle décida donc qu’elle reviendrait y dormir chaque jour et qu’elle avait enfin trouvé l’endroit idéal pour elle. C’est alors que pour sauver les cocotiers, je lui avais mis du sable humide sous les fesses. Elle n’avait pas du tout apprécié.  Sa jolie jupe avait était toute mouillée et toute salie. En plus la nuit, elle avait eu froid. Elle était donc partie dormir ailleurs. Mais elle regrettait énormément notre salle de bain à cause des milles et un rêves qu’elle y faisait chaque jour, tous plus beaux et fantastiques les uns que les autres. C’est pourquoi, elle repassait régulièrement par là pour voir si le sable était toujours aussi humide.

 Cette nuit, elle avait découvert avec bonheur qu’il était  bien sec, qu’il y avait un grand soleil qui brillait en permanence et qu’il  faisait toujours chaud. Toute contente,  elle était donc entrain de revenir s’y installer définitivement lorsque je l’avais surprise

. Elle était ravie que le soleil soit rentré dans la mosaïque. Bien que sa meilleure amie fût naturellement la lune, bien qu’elle fût privée de la contemplation de l’astre du jour à cause de ses yeux, elle adorait cependant sentir sa présence et sa chaleur lui caresser agréablement la peau.

Elle m’a ensuite expliqué que, lorsqu’elle sommeille ainsi, il ne faut surtout pas essayer de la réveiller. Il parait que cela aurait de très graves conséquences pour elle. C’est pourquoi  le vieux magicien l’avait, avec clairvoyance, doté d’un sommeil de plomb. Il est presqu’impossible de la réveiller. Même l’éclabousser comme vous l’avez fait ne la dérange pas, d’autant plus que, maintenant avec le soleil de la mosaïque, cela sèche vite. Bien sur ce serait gentil de ne pas exagérer quand même !

 La seule chose qui l’indispose un peu, c’est quand vous criez trop fort. Apparemment cela perturbe ses rêves. Elle ne m’a pas donné d’autres explications. Je n’ai pas osé lui en demander plus.

 Nous savons juste qu’il ne faut pas la réveiller. Je lui ai assuré que vous feriez des efforts pour ne pas crier trop fort. J’espère que je ne me suis pas trop engagée.

Comme elle m’a paru sympathique, j’en ai profité pour lui faire part du gros problème qui nous préoccupe actuellement : la prolifération des cocotiers. Je lui ai fait comprendre que s’il n’arrêtait pas d’en pousser, nous ne pourrions plus rentrer dans la salle de bain.

Elle était elle aussi concernée par la chose car elle serait forcée de partir si elle n’avait plus de place pour dormir. Elle m’a promis qu’elle allait trouver une solution pour nous tous grâce à ses pouvoirs enchantés.

Elle a rajouté, avec un ton mystérieux, qu’elle avait déjà sa petite idée parce, outre les soucis occasionnés par les cocotiers, elle trouvait le paysage un peu trop vide. Elle « joindrait  l’utile à l’agréable » me dit-elle sans autres précisions. Et puis elle s’est endormie d’un coup comme si je n’étais pas là. Je n’ai pas compris ce qu’elle a voulu dire.

Maintenant, il n’y a plus qu’à attendre que quelque chose arrive pour empêcher la pousse intempestive de cocotiers comme elle  l’a promis ; même si nous ne savons pas de quoi il s’agit.

Voilà, c’est tout pour l’instant. Je voulais vous tenir au courant de mon insolite rencontre avec la Doudou. Je surveille plus que jamais tout changement et je vous écris tout de suite si ça bouge. Mais, quoi qu’il arrive, je trouve que  la Doudou a une bien belle histoire et que nous avons de la chance d’habiter un tel personnage  dans notre salle de bain. Qu’en pensez-vous ?       

                                                   Très gros bisous, Manou.